La, la, la, tout va bien, la voilà qui revient. La Fête des Vendanges. Neuchâtel se prépare ce weekend, comme chaque année à la même période, à saloper sa ville de toutes les manières possibles et imaginables, à jeter aux ordures toute dignité et toute civilité, et à appeler ça une « fête ». Une fête des vidanges, si vous me passez le trait d’esprit. Puisqu’on s’arrange pour que chaque bâtiment, chaque élément de cette ville qui fascine les touristes et les étudiants en architecture, se voit souillé par 10 ou 20 flaques par personne de vomi, de pisse, ou des deux dans un rayon de 70km autour du centre-ville. Ceux qui comme moi fuient très très vite dans l’autre direction à l’approche de l’ouverture en fin septembre des Portes de l’Enfer seront d’accord pour dire que dès notre retour le lundi, la ville a comme un relent froid de fosse septique à ciel ouvert. Ce weekend, on fête le vin.
Parlons aussi de l’environnement sonore, si chèrement défendu toute l’année par les habitants. Car si les bons citoyens de la ville, tels des superhéros au service de la justice, poussent la gueulante au moindre décibel qui atteint péniblement leurs fenêtres en plein milieu d’après-midi, ils semblent étrangement dormir sur leurs deux oreilles le soir face aux hurlantes basses fréquences des différentes sonorisations saturées, qui génèrent en se mélangeant une bouillasse inaudible, agressive et indigeste pour n’importe quel mélomane un tant soit peu éclairé. Ce weekend, c’est à Neuchâtel que le terme de pollution sonore prend tout son sens et toute sa mesure. Et nos justiciers s’en réjouissent.
Mais je suis mauvaise langue, ils sont sûrement bien réveillés, ces héros. Sûrement dans la foule, en train de se frayer péniblement un passage à travers le Mordor. Leur objectif ? Sûrement le débit de boisson le plus proche. On supporte n’importe quoi tant qu’il y a de l’alcool, n’est-ce pas ? Sûrement. La Fête des Vendanges vous est offertes par la Justice League… sûrement bourrée.
Tiens, je parie que c’est le même type de personne qui se plaint du gigantisme de la Fête des Vignerons… wait ! Je viens de réaliser que j’en ai marre d’entendre parler de vin cette année !
Ouais, mais nous fêtons la qualité de nos vignes, dedieu ! Not’ patrimoine, crénom !
Moui… et je pense que les vignerons ont bien mérité la reconnaissance qui leur est dûe, mais je pense aussi que si j’étais un produit de consommation de luxe, j’apprécierais un autre hommage qu’une orgie gargantuesque ! Le vin a-t-il besoin d’être célébré par un weekend de débauche babylonienne qui ferait pâlir d’envie Dionysos dans ses plus larges excès ? Boum ! Deux références religieuses dans la même phrase. « Ceci est mon sang » qu’il disait. Je pense qu’il serait intéressant de savoir combien de Jésus il faudrait crucifier pour étancher la soif du peuple neuchâtelois ce weekend, qu’en dites-vous ?
Et au passage, suis-je le seul à penser que c’est un cruel manque d’ambition de considérer que le seul patrimoine neuchâtelois qui vaille une telle dépense de moyens (et d’argent, bizarrement… je croyais que les finances étaient mauvaises comme chaque année ?), ce soit le vin ? Aussi bon soit-il, ce vin, c’est vraiment tout ce qu’on a ici ? Ah non, dans le haut, y a les montres, aussi. J’oubliais. Donc vin plus montre… j’en déduis que la culture du canton se résume à connaître l’heure de l’apéro. Dites-moi si vous trouvez que généralise…
Après, je parle de vin, mais… nous savons tous que les cuites les plus sévères se prendront dès ce soir à l’alcool fort. Aux cocktails, aux absynthes, aux suzes, avec énormément de bière ou, mieux encore : avec tout ça mélangé. Et peut-être un verre de vin pour faire descendre. Bienvenue à la Fête des Vendanges.
L’être humain a-t-il un jour dans son histoire fait preuve de cette qualité étrange, et apparemment peu répandue chez l’Humain, qu’on appelle la modération ?
A la limite, j’irais volontiers faire un ou deux manèges, si la ville ne devenait pas soudainement le pays avec la monnaie la plus forte au monde. Nous avions le franc suisse, mais fin septembre, il y a le franc neuchâtelois. Pendant un weekend, un coca 3dl à 4 francs suisse coûte 12 francs neuchâtelois. Bonjour le taux de change, mais que fait la BNS ? J’interdis à tous ceux qui feront docilement la queue aux manèges ce weekend de venir après se plaindre des prix exorbitants des derniers smartphones.
En bref, si je cumule les oreilles en coton, le portemonnaie vide, la tête en vrac et le bide retourné, et à moins de vouloir faire une étude anthropologique sur le comportement d’un homo (presque) sapiens sous influence de l’éthanol (et peut-être d’autres substances, on va pas se le cacher), je pense que j’ai suffisamment de bonnes raison de rester chez moi.
Pour quelqu’un qui, comme moi, ne boit pas et qui est pauvre, ce weekend sera dur.
Mais quelqu’un qui, comme moi, sait qu’il n’a pas besoin d’une beuverie d’état pour apprécier la compagnie de ses amis, cette personne-là s’en fout. Sur ce, je vous laisse, j’ai un bunker à préparer pour ce weekend. J’invite tous ceux qui veulent fuir ce samedi à faire une partie de carte chez moi. Mais n’invitez pas Merlin l’Enchanteur, parce que c’est sans alcool.